Un poisson sans eau. Un vélo sans guidon. Un avion sans ailes. Un bateau à voile perdu au milieu de l’océan. Une chute libre avec un parachute défectueux. Un étranger sur une terre étrangère. Il existe mille et une métaphores pour décrire ce qu’est le choc culturel – cette expérience unique d’être loin de chez toi et de la culture dans laquelle tu as peut-être vécu toute ta vie.
Pour une personne qui s’installe à l’étranger, le choc culturel est un sentiment désagréable de désorientation qui survient soudainement lorsqu’elle interagit avec une nouvelle culture, un mode de vie inconnu et un ensemble différent de normes et de valeurs. (Si tu as regardé Le Monde de Nemo, pense à Dory : perdu(e), déboussolé(e), dérouté(e), désorienté(e).)
Mais aucune métaphore ne peut vraiment capturer le tourbillon d’émotions dans lequel tu plonges, entre l’anxiété qui t’étreint, la dépression qui t’alourdit et les pensées qui s’entrechoquent sans répit.
Dans un monde où la mobilité humaine s’accélère – parfois dès les études ou même dès l’enfance – les chercheurs ont, depuis plus d’un siècle, étudié ce phénomène du choc culturel, aussi appelé stress acculturatif. Il s’agit d’un processus de stress et d’adaptation à une autre culture. Il se manifeste différemment chez chacun, mais au final, chaque expatrié a son histoire sur la façon dont il a vécu cette transition d’une culture à une autre.
Selon Kalervo Oberg, les personnes qui s’installent dans un nouveau pays passent par un processus en quatre phases distinctes, et c’est justement de cela que je veux te parler aujourd’hui. Même si les symptômes du choc culturel peuvent être intenses, il existe heureusement des stratégies spécifiques qui t’aideront à mieux les gérer et à les atténuer.
Whoa, I’m an alien, I’m a legal alien (Sois toi-même, quoi qu’ils en disent)
Mais avant d’explorer ces quatre étapes, laisse-moi te raconter l’histoire de Sophie, une jeune femme de Lille, qui a quitté la France à la recherche du fameux rêve américain et s’est installée à New York juste après ses études.
En France, Sophie avait grandi entourée de traditions et de coutumes bien ancrées. Elle avait passé son enfance chez sa grand-mère en Normandie, où Noël ne se concevait pas sans bûche et chants traditionnels, où le Nouvel An s’accompagnait du fameux baiser sous le gui, et où chaque dimanche était réservé au déjeuner en famille. Là-bas, le respect des autres et un certain formalisme dans les relations étaient de mise, reflet d’une éducation où la politesse et les bonnes manières avaient une place centrale.
Sophie rêvait depuis toujours de découvrir l’Amérique, fascinée par les images vues dans les films hollywoodiens. Mais elle ignorait que cette aventure serait à la fois exaltante et semée d’embûches.
Lorsqu’elle est arrivée à New York, elle avait l’impression d’avoir atterri sur une autre planète. Ce n’était pas « An Englishman in New York », comme elle l’écoutait en boucle dans ses écouteurs, mais plutôt « Une Française à New York, wow ! »
Tout lui semblait inconnu : des gratte-ciels vertigineux à l’effervescence de la ville. Elle était heureuse de découvrir un nouveau pays, mais ressentait en même temps une certaine anxiété et un sentiment d’isolement, qu’elle essayait d’ignorer.
C’était comme une lune de miel : tout était parfait, elle se sentait exploratrice dans une ville immense, émerveillée par chaque nouvelle découverte. Elle avait l’impression de grandir à une vitesse fulgurante, comme si elle vivait en accéléré. Euphorie était sans doute le mot qui décrivait le mieux son état d’esprit à ce moment-là.
L’un des premiers aspects qui l’a marquée, c’était la gentillesse et l’enthousiasme des Américains. Des inconnus lui parlaient spontanément dans le métro, les passants lui souriaient et la saluaient dans la rue. À Lille, cela ne se produisait jamais.
Même si elle appréciait cette chaleur, elle se sentait déroutée. En France, les amitiés se construisaient lentement, la confiance étant un élément clé des relations. Ici, tout semblait plus rapide et informel. Elle ressentait une certaine nostalgie pour les interactions plus profondes et durables qu’elle connaissait dans son pays.
Un autre choc culturel pour Sophie a été la notion d’espace personnel et d’intimité. Elle a remarqué que les Américains tenaient à garder une distance physique en discutant et n’appréciaient pas qu’on empiète sur leur espace. En France, la proximité physique était souvent perçue comme un signe de convivialité et d’affection. De plus, poser des questions sur l’âge, le statut marital ou le salaire était quelque chose de courant en France, tandis qu’aux États-Unis, cela pouvait être mal vu.
Mais ce qui l’a sans doute le plus étonnée, c’était le niveau d’informalité dans les relations. Très vite, elle s’est rendu compte que les Américains n’avaient ni Madame ni Monsieur, ni vous. Peu importe l’âge ou le statut, tout le monde s’appelait par son prénom.
Cela lui semblait totalement étrange d’appeler son patron de 50 ans Steve et rien d’autre. Mais finalement, cette familiarité lui a permis de se sentir plus à l’aise, sans le poids des conventions formelles françaises. C’était une différence surprenante, mais pas désagréable.
L’expérience de Sophie avec le choc culturel a été pleine de défis, mais aussi de leçons précieuses. Au fil du temps, elle a appris que pour vraiment comprendre et apprécier une nouvelle culture, il faut accepter ses différences et s’ouvrir à l’inconnu.
Son histoire est devenue un témoignage de la richesse des échanges culturels et de la beauté de l’unité dans la diversité. 💡
Quelles sont les phases du choc culturel ?
Tous les spécialistes s’accordent à dire qu’il existe un processus d’adaptation par lequel passe toute personne s’installant dans un nouveau pays.
Ce processus peut comprendre entre trois et cinq étapes, mais les principales phases communes sont : l’euphorie (ou la « lune de miel »), l’escalade des difficultés, puis l’adaptation.
Dans la première phase, celle de la lune de miel, tu es fasciné(e) par tout ce qui est nouveau. La culture que tu découvres t’émerveille, et tu ressens une immense gratitude pour cette nouvelle aventure.
Ana raconte : « J’étais émerveillée par absolument tout, et tellement heureuse d’être enfin là. I did it! – je me répétais sans cesse. »
Mais après cette période d’enthousiasme, vient la phase de frustration, qui survient généralement après trois mois d’installation dans un pays étranger.
« Chaque jour, je remarquais de plus en plus de différences entre ma nouvelle vie et celle que j’avais en France. Je les observais en faisant mes courses, en échangeant avec mes collègues, en me promenant dans les rues de Paris à la veille de Noël et, bien sûr, lors de mes premiers rendez-vous avec Brian, un Français qui a eu bien du mal à me séduire.
J’éprouvais des difficultés à communiquer avec lui, avec mes collègues au travail et même avec les commerçants. J’avais l’impression de ne pas être sur la même longueur d’onde qu’eux, ce qui me mettait dans une colère immense et une tristesse difficile à surmonter.
Je me sentais incompétente – c’est le mot, même si je déteste l’admettre. Souvent, après de telles situations, je me réfugiais dans les toilettes, je me fixais dans le miroir et j’essayais de retenir mes larmes. Et si, par malheur, la nostalgie du pays me traversait l’esprit, aucune phrase d’encouragement ne pouvait empêcher mes sanglots.
Je réalisais que tout n’était pas aussi simple que je l’avais imaginé. Ma vie d’avant me manquait, et je détestais les croissants, les baguettes et les fromages français, que je retrouvais absolument partout à Paris. Après mes journées de travail, je n’avais qu’une envie : rentrer chez moi, attraper mon téléphone, me recroqueviller avec un coussin dans les bras et écouter la voix de ma mère : Ma chérie, comment vas-tu ? Ah, je pouvais presque sentir l’odeur du pot-au-feu, des crêpes au sucre et de la tarte aux pommes qu’elle préparait si divinement bien. »
La troisième étape du choc culturel est celle de l’ajustement et de la réintégration, qui survient généralement entre six mois et un an après l’installation.
« Un jour, j’ai remarqué que les différences culturelles ne m’affectaient plus autant. Ou plutôt, je ne leur accordais plus autant d’importance. D’une manière ou d’une autre, j’avais trouvé mon rythme et je me sentais de plus en plus à l’aise – chez moi (et j’avais même commencé à ressentir que cet endroit était vraiment chez moi), au travail, avec Brian et avec mes premiers amis français.
Après toutes ces crises où je voulais tout abandonner et rentrer en France, j’ai soudainement compris que j’étais capable de m’intégrer dans cette culture. J’ai réalisé que tout dépendait de moi, de ma capacité à gérer, observer et comprendre ce que je vivais. »
La dernière phase, celle de l’autonomie, marque le moment où un expatrié se sent enfin à l’aise dans son nouvel environnement.
« Bon, d’accord, je n’étais pas une Parisienne pure souche, mais heeeei… qui l’est vraiment ? Après tout, j’avais choisi de m’installer dans une ville où la diversité culturelle est incroyable, et après plus d’un an, je ressentais enfin que j’avais trouvé ma place ici. Je me sentais bien, positive et à ma place.
Tu sais, Cristina, d’une certaine manière, je me sentais comme une héroïne. »
Quels sont les symptômes du choc culturel ?
Sache que les symptômes du choc culturel varient d’une personne à l’autre, tant en termes d’intensité que de manifestation. Tu as sans doute déjà repéré certains d’entre eux à travers l’expérience d’Ana, mais je vais les lister ici pour que tu puisses mieux les identifier. Plus tu en es conscient(e), plus il te sera facile de les gérer.
- Anxiété, dépression, solitude et nostalgie du pays
Georgia l’admet volontiers : « J’avais tendance à fuir les gens et à m’isoler. Je me souviens qu’un jour, mes collègues avaient prévu de sortir ensemble le soir pour découvrir un nouvel endroit. Sans même réfléchir, j’ai prétexté que j’avais quelque chose d’important à faire et que je ne pouvais pas reporter. En réalité, je n’avais rien du tout. Mais mon esprit était envahi par des pensées liées à mon pays. Je revoyais mes rencontres avec mes amis d’enfance, et j’avais l’impression que je ne réussirais jamais à m’intégrer dans ce nouveau cercle. »
- Confusion, frustration et désorientation
Lorsque tu te trouves en terre inconnue, tu as l’impression qu’un tremblement de terre peut survenir à tout moment. C’est comme si tu marchais sur un pont fragile, sans avoir confiance en ceux qui t’attendent de l’autre côté. Ils te disent : « Traverse, nous l’avons fait aussi, tout ira bien. »
Mais tu ne peux pas leur faire confiance.
Qui sont-ils ? Des étrangers. Et le conseil de ta mère – « Ne fais jamais confiance aux inconnus ! » – est trop profondément ancré en toi pour que tu puisses l’ignorer. Tu es au milieu de ce pont, sans savoir s’il vaut mieux avancer, reculer ou simplement rester là, figé(e). Et cette incertitude est terriblement douloureuse.
- Pensées négatives liées à la santé
Voici ce que raconte Alexandre, qui a quitté la France pour s’installer au Japon :
« J’avais constamment l’impression que j’allais tomber malade. Je regardais mon assiette et j’étais persuadé que ce nouveau plat allait me rendre malade. J’analysais la météo et je me disais que j’allais attraper froid à cause du temps humide, ou que j’aurais mal à la tête à cause d’un coup de chaleur. Le plus ironique, c’est que ces choses finissaient par se produire tôt ou tard. »
Tu sais, l’anxiété liée à la santé peut être une manifestation de l’insécurité que tu ressens dans cet environnement inconnu. Il est aussi possible que tu souffres de maladies récurrentes parce que ton corps somatise l’appréhension d’évoluer dans une culture totalement nouvelle, qu’il ne reconnaît pas encore.
- Le sentiment d’être incompétent(e)
Beaucoup de personnes expatriées finissent par être hantées par cette question : « Et si j’avais pris une décision trop hâtive, une mauvaise décision ? »
Pourquoi cela arrive-t-il ? Parce que, d’un point de vue psychologique, ton rôle et ton identité sont profondément bouleversés. Ce que tu croyais maîtriser devient flou, et cela peut être déstabilisant.
- Hostilité envers la nouvelle culture et idéalisation de la culture d’origine
Tu pourrais te surprendre à devenir très critique envers ton nouvel environnement : ses habitants, ses coutumes, sa culture.
Et paradoxalement, même si tu as fui la complexité de l’administration française et ses lourdeurs bureaucratiques, tu pourrais soudainement te retrouver à relativiser et à lui trouver des aspects plus tolérables.
Ta vie d’avant et tes amis restés en France peuvent alors te sembler parfaits, tandis que ton nouvel environnement devient la source de toutes tes frustrations.
Voici donc les principaux symptômes du choc culturel. Lesquels reconnais-tu chez toi ? Y en a-t-il un qui te bloque au point de t’empêcher d’avancer dans ton processus d’adaptation ?
P.S. : Je te laisse avec une citation de George Santayana, extraite du livre La Philosophie du voyage, qui illustre parfaitement pourquoi le choc culturel est en réalité une expérience précieuse :
« Se diriger aussi souvent que possible du connu vers l’inconnu est une preuve de sagesse : c’est ce qui garde l’esprit vif, détruit les préjugés et cultive l’humour. »